Cendrillon, d'Eric REINHARDT
Extrait de la quatrième de couverture : C'est un livre d'amour. C'est un livre d'amour dédié à une saison, l'automne. C'est un livre d'amour et de guerre sur la mondialisation, les dérives du capitalisme moderne.
Laurent Dahl prend la fuite, abandonnant femme, enfants, appartement londonien et domestiques. Son ascension fulgurante dans une société d'investissements vient de s'achever en faillite. Patrick Neftel roule à vive allure vers un studio de télévision, des armes cachées dans le coffre de sa voiture, pour accomplir le geste radical et désespéré qui lui donnera enfin le sentiment d'exister. Thierry Trockel conduit son épouse vers un manoir isolé aux environs de Munich. Ils doivent y retrouver un couple rencontré sur Internet. À travers ces trois personnages issus d'une classe moyenne toujours malmenée par l'auteur du Moral des ménages, c'est la société dans toute sa rudesse qui se révèle : traders bourrés de cocaïne, laissés pour compte de la promotion sociale, parents soumis et humiliés, adolescents rageurs, jeunes gens avides et ambitieux, arrogance et dégradation des people, mépris des intellectuels de gauche pour les déclassés.
Mon avis : Difficile de se faire un avis sur un tel roman ! C'est étonnant, riche, inventif, foisonnant d'idées, mais inégal, irrégulier. On accroche tout de suite avec le style si particulier d'Eric Reinhardt, on se laisse aller au rythme de ses phrases, on se laisse prendre par les sujets, les thèmes abordés, on entre chez ses personnages, on accepte d'être bousculé dans notre lecture. Très vite, on est dérouté : qui est ce narrateur ? Est-ce l'auteur ? Un inconnu ? Un des avatars de l'auteur ? On passe d'une famille à une autre, d'un univers familial à un autre, avec ses souffrances et ses névroses, on est totalement déstabilisé par ces identités et ces histoires à la fois successives et embriquées : Laurent Dahl, et son père, victime d'un collègue perfide qui le broie, puis on découvre l'univers de Thierry Trockel et un repas pour le moins catastrophique où le père, employé modèle voulant en mettre plein la vue à son directeur, achète une voiture, juste pour le conduire chez lui, organise un festin digne du Gault et Millaut mais arrive avec plus de trois heures de retard : enivré par son nouveau bolide, il oublie la sortie d'autoroute menant à son pavillon qui lui de tous ses feux pour la soirée ! Evidemment le dîner dégénère, mais ce récit est absolument délicieux ! Ensuite, on découvre Patrick Neftel et son père qui achète un tableau à la femme de son patron... Bref, ces trois hommes sont les avatars de l'auteur, puisqu'il le dit lui-même, et pour moi, ils revêtent chacun un rôle :
- Trockel est le côté sexuel avec ses fantasmes et ses perversions,
- Neftel est la figure de la violence, enfouie en chaque homme,
- Dahl représente l'argent.
Ces trois hommes peuvent être les mamelles de la société : sexe, violence, fric, mais on peut aussi les lire comme des moi, surmoi et ça de la psyché humaine.
Toutes ces histoires se succèdent et se téléscopent ; on ne sait plus qui est qui, mais ce n'est en rien dérangeant, c'est même plutôt jouissif, cette confusion, tout comme les digressions apparemment totalement hors sujet du narrateur : escarpins Louboutin ( enfin, j'a trouvé quelqu'un qui cultive le même fétichisme que moi sur ces chaussures absolument DIVINES !!!! ), la danse, Médée, Mathilde Seigner, les traders, Eminem, le travail de l'écriture, Palais Royal, et ... L'automne ! Tous ces thèmes apparemment éloignés finiront par se rejoindre dans ce qui constitue le point d'orgue du roman : les dernières pages !
Quelques pages sur le milieu de la finance auquel je n'entends rien et ne souhaite rien en connaître, d'ailleurs, m'ont joué des tours, j'ai failli renoncer à cette lecture à quelques reprises, mais fort heureusement, après un saut de puce, j'ai retrouvé les éléments qui m'ont fait adorer ce livre !
Quelques passages : p 504, sur le travail de l'écriture, un petit hommage au gueuloir de Flaubert : " Comment fait-on pour faire hurler une phrase ? J'ai travaillé pendant des mois à faire hurler des phrases."
D'autres passages sont totalement incroyables, novateurs, osés, polémiques, notamment le réquisitoire contre la bourgeoisie intellectuelle de gauche face aux élites qui est un véritable régal !